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MAYLIS


On s’est rencontrées l’été 2022. Là où les routes sont bordées par les pins, quelque part près de l’Atlantique.
La maison de Maylis ressemble à celles des films américains, grande, majestueuse, robuste, qui dit que la vie est belle et que la perfection existe. Sauf que Maylis n’aime pas les sourires de façade, elle a trempé son caractère dans une belle dose de liberté, et ce jour-là, alors que la chaleur était écrasante, elle m’a dit sa révolte intérieure. Tour à tour ferme, fataliste, délibérément dans la force et l’affront de ce qu’elle ressentait. Puis vulnérable, prisonnière de sa propre culpabilité, tiraillée entre malaise et envie secrète de voir les choses grandir plus favorablement.

Il était question de réussir à se comprendre, à défaut de vivre l’expérience de l’autre. Alors on a causé, des heures, dans sa cuisine quand c’était le plus dur, qu’il fallait dire les mots moches et les assumer. Dans son jardin, sa chambre-refuge où elle s’évade parfois, sa voiture, quand on a pris la route direction l’océan, avec les paysages qui défilent qu’on ne regarde même plus parce que le moulin de nos paroles est plus important. Dans le sable qui brûle, dans l’eau salée toute pleine des larmes qu’elle a donné. Avec Maylis, on a beaucoup parlé.




J’ai eu un accouchement très difficile. J’étais sous morphine, ça a duré 36 heures, ma fille était en souffrance fœtale. Elle est d’abord partie avec les médecins. J’ai pas eu, ce fameux truc que tout le monde dit, tu vas voir ils vont la poser sur toi et le monde va s’arrêter de tourner.

Alors j’ai pensé « qu’est ce qui cloche chez moi ? ». Pour moi l’amour a grandi avec le temps. Maintenant, j’ai de l’échange avec eux, ça aide. Au début je trouvais ça aliénant, avilissant même. Pourtant elle faisait ses nuits à 5 jours, elle était facile. J’ai demandé à la nounou « Vous croyez qu’elle m’aime ? Qu’elle a besoin de moi ? ». Pour mon fils, l’accouchement était plus facile, mais lui était très dur.


C’est quand j’ai divorcé que j’ai compris, que j’ai mis des mots. Le fait de ne plus les avoir tout le temps, je me suis rendue compte que je n’avais pas envie de les avoir tout le temps, que je n’avais pas toujours de sensation de manque.





Je suis fille de militaire, l’éducation est importante, alors je les élève bien, ils sont polis, je fais tout ce qu’il faut, donner le bain, préparer les repas, surveiller les devoirs. Le vendredi matin, quand je les dépose avant de les laisser une semaine, je m’en veux de faire « parce qu’il faut ».


Je n’étais pas amoureuse de mon ex-mari. C’était quelqu’un de gentil, de bien. Il y a eu énormément de culpabilité quand j’ai divorcé. Je n’étais pas heureuse, pas malheureuse non plus.


J’ai eu un coup de foudre pour un autre homme. Réciproque. On a tout quitté, on s’est installés ensemble. Mon ex-mari m’en a beaucoup voulu, et l’ex-femme de mon amoureux m’en a beaucoup voulu aussi. C’est toujours la femme la méchante.

On est très amoureux, ça fait 4 ans. Il a deux garçons. On vit tous les 6 ensemble, en garde alternée. C’est un papa poule, lui… Je ne lui ai jamais caché mon rapport difficile à la maternité. On se dispute parfois... seulement quand on ne se comprend pas.




Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais des enfants. J’ai fait des enfants.

J’aimerais leur apprendre, plus tard. Qu’il ne faut pas devenir parent juste parce que la société nous l’impose.

On est conditionnés, depuis toujours, à l’idée que l’accomplissement d’une femme passe par la maternité. Je voudrais leur dire que c’est pas grave, de pas en vouloir.




Malgré tout, je sais combler leurs insécurités et je suis là. Ils ont conscience que je suis parfois moins disponible émotionnellement, ils ont développé cette intelligence, ce côté démerdard. En fait, je les élève comme des enfants forts, indépendants. Je veux qu’ils soient libres de leurs choix adultes.


Je me suis confiée à ma meilleure amie, ma cousine, un petit peu à ma mère. C’est tout. Je vois que ça l’embête. Elle voudrait que je le vive mieux. Alors je n’en parle pas, jamais.




Je crois que pour guérir de quelque chose il faut d’abord se laisser submerger. J’ai accepté d’être envahie par ce sentiment de regret. Il fera toujours partie de moi, mais maintenant, je veux réussir à vivre avec. Abandonner cette culpabilité aussi.


On part en vacances bientôt, j’ai pris plein de jeux de société, j’ai envie de partager des bons moments, je ne veux pas être fataliste. J’essaye de me bousculer, d’évoluer, pour mieux appréhender ce rôle de mère.


Mon rapport à la féminité a joué une part importante de mon bien-être. Je suis une ancienne sportive, mais j’ai toujours été complexée par mon physique. Même à l’époque où je faisais du 34, je me trouvais trop grosse ! J’ai eu beaucoup de remarques de mon entourage plus jeune, qui ont perturbé mon rapport à mon corps. Je ne me trouvais pas jolie et je ne prenais pas soin de moi.

Un jour, il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai viré tous mes joggings, piercé mon nombril et pris goût à m’habiller. J’ai adoré ça. Je me suis approprié mon corps et je l’ai vu comme celui d’une femme, qui n’est pas qu’une mère. Ça m’a fait du bien. Je n’ai pas allaité pour ça. J’avais besoin d’avoir une part de féminité qui ne serait pas liée à la maternité.



J’ai repris mes études, pour décrocher un poste supérieur. Je passe un master 2, ça me rend fière. Je vis mieux mon rôle de maman depuis que j’ai un travail à responsabilités. Peut-être que ce qui me sauve, c’est d’avoir trouvé mon équilibre personnel.





Ma grande difficulté…


C’est que je suis d’une sensibilité à fleur de peau. Un film qui me choque va me hanter des semaines. Je ne regarde plus les infos. Et j’ai ce poids, pour eux. Qu’est ce qui va leur arriver ? Est-ce que des enfants vont être méchants à l’école ? Une femme sur dix est victime d’agression sexuelle, je m’inquiète pour ma fille. Je me dis que si je n’avais pas d’enfant, je n’aurai pas cette charge émotionnelle. Cette inquiétude me bouffe. Le jour où il arrive un truc à mes enfants, je m’en remets jamais. Je les aime tellement… J’ai peur de les perdre. Peut-être que je suis en retrait pour les rendre débrouillards, pour qu’ils s’en sortent. Le monde dans lequel on vit me rend malade. Être mère je trouve que c’est trop dur. Trop intense.





Ma plus grande force…

C’est cet amour, finalement. Je donnerai ma vie pour eux !

Mais c’est aussi ma plus grande fragilité, parce que je me sens à la merci de ce qui pourrait leur arriver.


Si je partage mon histoire pour la première fois de cette façon, c’est pour que d’autres femmes se sentent moins seules.


L’amour maternel se décline sous mille palettes. Il n’y a pas de stéréotypes de la mère. On attend beaucoup moins des hommes et de la paternité… Ce sentiment, ce regret, cette ambivalence venant de celle qui les porte et les met au monde, c’est inentendable.

Je n’ai pas été suivie. Je n’avais jamais raconté tout ça avant.


Si c’était à refaire, je crois que je ne le ferais pas. Et pourtant, tu vois quand je dis ça… je n’imagine pas ma vie sans eux.

Ils sont tellement adorables. Je voudrais qu’ils soient le moins abîmés possible. Je suis abîmée de mon enfance moi, j’ai peur de reproduire.

J’aime mes enfants, ils méritent le meilleur.

Et parfois je ne suis pas « le meilleur ». C’est dur.


Je crois bien pourtant, qu’ils sont heureux.

Parfois ils pleurent en partant, tu sais ?

Devine ce qu’ils me disent.

Qu’ils ne veulent pas me quitter.



Maylis, 33 ans

Cestas (33)




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