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13h23

Je me souviens des volutes de fumée qui s’évanouissaient dans l’air glacial et des pleurs que je croyais entendre alors qu’il dormait. Il y avait ces enfants grands qui marchaient dans la rue, pendant que je tirais fort sur le tabac, vissée à la fenêtre, le visage serré. Ils étaient là, plein de vie, souriants. Ils avaient 7 ou 10 ans. Et je me disais « ils ont survécu ». Alors, ça passe tout ça ? Les coliques qui les tordent, les pleurs du soir quand il fait nuit noire. Les tubes de polysilane, les tétines recouvertes d’énormes noisettes, et puis googliser, est-ce que l’on peut surdoser le polysilane ?

La fine pellicule rose qui colle aux doigts et qu’on enlève comme un masque.

La veilleuse tortue qui nous berce autant que lui, la table à langer remplie de petits paniers pour se rassurer, se dire que tout est sous contrôle en vrai.

Je me souviens de sa voix, ses cils, le poids de son corps quand il s’abandonnait enfin au sommeil, son sourire chaque matin dans le couffin, la courbe de son carnet de santé que je remplissais, en dessinant la petite croix, soigneusement, je m’appliquais. Je trouvais ça miraculeux d’imaginer que chaque enfant croisé dans la rue était passé par ça, et qu’il était indemne.

Dans les jours sombres, quand je me sentais perdue, aveugle, qu’il n’y avait plus de rames, juste à se laisser porter dans ce fleuve agité... Il restait bien une lueur: celle de ces enfants croisés dans la rue, vivants et souriants. Leur vision me donnait de l’espoir. Je m’y amarrais, en tirant sur mes clopes dans le froid de janvier. Il est né le 1er décembre 2014 à 13h23 et a changé la face de mon monde. J’ai beaucoup de tendresse pour le souvenir des cigarettes, des pleurs imaginaires et de l’espoir donné par les enfants grands. Bien sûr qu’on allait s’en sortir. Bien sûr qu’on allait s’apprivoiser. C’est presque drôle d’en avoir douté.

Quand je me blottis contre son corps aujourd’hui, je je le trouve si grand, si beau, si drôle, si tout, je me dis qu’on a réussi, et je donnerai beaucoup,

pour remonter le temps, juste un instant,

il serait 13h23 et je nous dirai à tous les deux,

à quel point, tout irait bien.


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