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Les histoires du soir

Je ne lisais plus d’histoires. C’était mon fantasme absolu, quand j’avais le ventre rond, quand ils gazouillaient, quand le rituel du coucher se résumait au dernier bib et à la veilleuse tortue.

J’avais des réminiscences de mon enfance, les contes sanglants des frères Grimm, mes nuits avec la comtesse de Ségur à engloutir des chapitres en cachette, lampe de poche planquée sous l’oreiller. L’adorable Paul dans Les Vacances, les pâtes de fruits des Malheurs de Sophie, la fin atroce de Raiponce avant que Disney ne s’en empare et lui offre le happy end qu’on connaît, la princesse au petit pois avec ses cinquante matelas, et les maisons en pain d’épices que l’on bouffe avec les doigts. Je rêvais de piles d’histoires passionnantes à leur faire dévorer. Ils ont grandi, il y a eu les livres musicaux dont les piles coûtent un œil, mieux vaut en racheter un neuf, et ceux sur les pirates, les animaux, les trucs interactifs avec les fenêtres à soulever, tout le tintouin, pas vraiment des histoires d’ailleurs.

J’ai fatigué souvent, remis au lendemain, en plus Neva n’écoute jamais plus d’une minute, et ils se couchent toujours trop tard, il y a école demain, vous êtes surexcités, non, pas ce soir.

Je n’ai plus lu d’histoires. C’est nul et ça a duré des mois, je suis passée à côté du moment dont j’avais tellement rêvé. Être parent c’est parfois une flemme à la con dont découlent plein de petits renoncements quotidiens que l’on croit anodins.

Cette semaine, j’ai changé, volontairement oublié l’heure après les dents, tant pis pour le réveil. On a choisi ensemble, ils se sont installés, la couette jusqu’au nez, j’ai fait les voix, j’y ai mis du coeur, et ils se marraient, les enfants n’ont jamais peur du comique de répétition, tu peux le refaire maman, s’il te plaît.

Comment tu leur dis non ? Tu dis pas. Tu refais, deux fois, dix fois, et leurs rires éclatent contre les pages écornées, et l’heure tu t’en fous pas mal, ça résonne dans les draps, dans les guirlandes qui servent de veilleuses, et surtout, ça s’agrippe dans nos mémoires, ça tisse une toile, celle des souvenirs pour plus tard. C’était facile, c’était beau, et j’espère ne plus jamais, renoncer aux histoires du soir.





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